Élections démocratiques et alternances historiques au Botswana et à Maurice
Note n° 13, Aude Husser et Mamoudou Gazibo, Novembre 2024
Alors que les acquis démocratiques sont en déclin continu à travers le monde depuis presque deux décennies, c’est en Afrique que viennent de se produire deux des plus belles expériences qui montrent que ce phénomène de backsliding n’est pas une fatalité. Le Botswana et Maurice, reconnus comme deux modèles de démocratie stable ont confirmé et renforcé ce statut par le biais d’une 13e élection le 30 octobre pour le premier depuis son indépendance en 1969 et une 12e élection le 10 novembre pour le second depuis son indépendance en1968. Dans un continent cité surtout pour ses élections truquées et contestées et pour l’érosion des dispositions constitutionnelles favorisant l’alternance par la limitation du nombre de mandats présidentiels, ces deux cas sont suffisamment exemplaires pour être salués. Rares en effet sont les pays où, comme à Maurice, l’opposition peut remporter 60 des 62 sièges en jeu. Rares sont également les pays comme le Botswana où, après presque 60 ans au pouvoir, un parti politique accepte la victoire de l’opposition et cède pacifiquement le pouvoir.
Un contexte pré-électoral particulièrement difficile pour les partis sortants
Au Botswana, le parti sortant s’est confronté à plusieurs difficultés ces derniers temps. En effet, le gouvernement de Mokgweetsi Masisi a tout d’abord été accusé de corruption et de mauvaises gestions économiques et financières. En effet, un écart croissant s’est dessiné entre les riches et les pauvres, selon la Banque mondiale. Le député Kgoberego Nkawana a ainsi déclaré dans l’émission Newsday de la BCC « que de nombreux jeunes du Botswana restaient sans emploi malgré d’énormes gisements de diamants et une industrie touristique relativement florissante dans le pays ». En effet, selon le Fonds monétaire, le taux de chômage a atteint 27% et touche notamment les plus jeunes. Ainsi ces différentes problématiques ont très certainement remis en question la confiance des partisans de l’électorat pour le gouvernement sortant. Cependant, le Botswana se distingue tout de même par un modèle démocratique stable. Si le mandat de Masisi a donné des résultats mitigés sous certains aspects, d’autres aspects démontrent la force démocratique du pays. Par exemple, la liberté d’expression au Botswana s’est fortement améliorée après s’être détériorée lors du gouvernement Khama, le prédécesseur de Masisi qui, rentré récemment de son exil volontaire, a fait campagne contre son successeur qu’il avait pourtant aidé à accéder au pouvoir.
A Maurice, la campagne du parti sortant s’annonçait victorieuse, notamment avec l’annonce du Premier ministre Jugnauth d’un accord avec le Royaume-Uni sur la rétrocession de l’archipel des Chagos attendu depuis l’indépendance. Cependant, les dernières semaines ont été marquées par le scandale des enregistrements téléphoniques de diplomates, journalistes et autres personnalités politiques impliquant le premier ministre Pravind Jugnauth. Ce scandale a relevé des soupçons de corruption. Ces appels avaient fuité sur les réseaux sociaux en octobre. En réaction, les autorités avaient annoncé le 1ernovembre le blocage des réseaux sociaux jusqu’au lendemain du scrutin, avant de se raviser face à l’indignation de l’opposition et des médias. Mais il faut tout de même mentionner que malgré le manque de transparence et de réactions « démocratiques » de Jugnauth, Maurice reste un État avec une forte croissance économique, avec un PIB par habitant qui a dépassé en 2022 les 10 000 dollars selon la Banque Mondiale. De plus le pays s’illustre comme une démocratie stable et un modèle de prospérité sur le continent africain.
Les forces en présence
Lors des élections législatives du Botswana le 30 octobre, Duma Boko, un avocat des droits humains de 54 ans, opposant de longue date et diplômé de Harvard se présentait pour la troisième fois. Il était candidat en 2024, mais aussi en 2014 et 2019. Il a créé le parti de l’UDC (Umbrella for Democratic Change) pour unir les groupes d’oppositions contre le Botswana Democratic Party, contre lequel il vient de remporter les élections. Le BDP détenait la majorité parlementaire depuis le premier scrutin, après l’indépendance en 1969. Il y avait aussi deux autre partis : le Parti du Congrès du Botswana (BCP) et le Front patriotique du Botswana (BPF).
Les deux candidats principaux à Maurice ne sont pas inconnus des électeurs mauriciens. Du côté de Pravind Kumar Jugnauth, il avait remporté les législatives de 2019, obtenant 42 sièges sur 70 à l’Assemblée nationale. Cette victoire électorale avait assis la légitimité de celui qui avait succédé en 2017 à son père, Anerood Jugnauth. Le principal opposant du Mouvement socialiste militant de Jugnauth est Navin Ramgoolam, le chef de l’Alliance du changement. Ramgoolam est un ancien premier ministre (1995-2000 et 2005-2014) et le fils de Seewoosagur Ramgoolam, qui avaient conduit l’ex-colonie britannique à l’indépendance avant d’en devenir le premier chef de gouvernement. Ainsi, le point commun de ces deux candidats -Ramgoolam et Jugnauth- est qu’ils ne sont pas inconnus des électeurs mauriciens. En effet, ce sont des membres de dynastie qui ont dominé la politique mauricienne depuis l’indépendance obtenue du Royaume-Uni en 1968. Ce ne sont donc pas des figures nouvelles.
Des élections pacifiques et sous haute surveillance pour assurer la transparence du scrutin
Au Botswana, ces élections ont montré un grand élan démocratique de la part des électeurs. L’économiste et analyste politique Phalana Siya a déclaré « qu’il n’y a jamais eu autant d’électeurs inscrits dans l’histoire du pays : 2 millions deux cent mille électeurs environ inscrits sur une population totale de deux millions cinq cent mille habitants, ce qui est un record par rapport aux scrutins précédents ». Effectivement, plus d’un million d’électeurs se sont présentés dans les bureaux de vote le jour de l’élection le 30 octobre sur une population totale de 2,6 millions. Il n’y a jamais eu autant d’électeurs inscrits dans l’histoire du pays et la jeunesse (18-35) a joué un rôle majeur dans ce renversement politique au Botswana, selon Phalana Siya.
Maurice a aussi eu des élections qui témoignent d’une santé démocratique comparable à celle du Botswana. Le nombre d’électeurs mauricien a été estimé à environ 1 million d’électeurs inscrits pour ces douzièmes législatives de l’histoire de la République de Maurice. La divergence principale entre les deux pays est la manière dont se sont déroulées les élections. Si au Botswana, elles se sont déroulées sans inquiétude sur la transparence du scrutin, à Maurice, quelques craintes s’étaient manifestées. Effectivement, des soupçons de fraude avait été mentionnées et des membres de la police mauricienne ont été réquisitionnés dans les bureaux de vote. Dans un premier temps, Ramgoolam avait dit aux électeurs de rester attentifs, en ajoutant un peu plus tard que tout s’est déroulé dans la transparence et sans incident. Cela illustre encore une fois la vigilance des institutions à la qualité démocratique du déroulement des élections à Maurice.
Une défaite écrasante du candidat sortant au Botswana et à Maurice
L’alternance historique au Botswana a été qualifiée de « défaite cuisante » ou encore même « d’inattendue » par les experts et analystes politiques. En effet, la coalition de gauche « Umbrella for Democratic Change » (UDC) a remporté plus de 31 sièges sur 61 à la Chambre du Parlement, vendredi premier novembre. Il faut souligner que le système électoral du Botswana stipule que c’est le parti qui obtient la majorité de 31 sièges qui est le vainqueur et que son candidat est élu à la présidence. Pour l’ancien président Masisi, cette défaite ne semblait pas être « prédite ». Son parti pensait rester au pouvoiret Mokgweesti Masisi avait lui-même déclaré le jour du scrutin qu’il en était persuadé. Mais cette victoire du parti de Boko était visiblement aussi très inattendue pour les analystes comme Christophe Vandome qui a annoncé à l’AFP : « on pensait que le BDP (parti de Mokgweetsi Masisi) perdrait du terrain, mais qu’il formerait tout de même le gouvernement ». Ce qui est le plus marquant et qui évoque une volonté de changement puissante pour la population botswanaise, c’est que le BDP a remporté seulement quatre sièges au parlement alors que l’UDC en a remporté 35. Même si le président Masisi avait tenté de se présenter comme le candidat qui allait mener au changement, cela n’avait visiblement pas suffi pour que les électeurs refassent confiance au BDP pour les gouverner à nouveau après 6 décennies au pouvoir.
La défaite du parti sortant a été tout aussi écrasante du côté de Maurice. L’Alliance du changement que Navin Ramgoolam menait pour les législatives a remporté une victoire importante. D’après la Commission électorale, cette coalition a remporté 62,2% des voix contre seulement 27,8% pour le Mouvement socialiste militant de Jugnauth. Pour Maurice, l’élection se remporte par le candidat de l’Alliance qui obtient la majorité aux législatives et qui devient ainsi le Premier ministre. Le Premier ministre sortant avait tout de même l’espoir de remporter à nouveau les élections pour un mandat de 5 ans supplémentaires : « nous sommes confiants en la victoire, car le peuple apprécie notre bilan ». Mais la coalition du Mouvement socialiste militant n’aurait pu qu’obtenir une défaite historique, après plus de 7 ans au pouvoir. Avec le scandale qu’a connu le Premier ministre sortant, il était très certainement difficile de pouvoir imaginer sa victoire. Le Premier ministre entrant avait quant à lui déclaré la veille du scrutin le dimanche 10 novembre : « on va vers une large victoire demain. Le peuple attend cette libération ».
Des attitudes des candidats sortants et gagnants illustrant l’intériorisation des valeurs démocratique dans les deux pays
Le Botswana et Maurice ont montré à nouveau leur force démocratique, à travers notamment la réaction des candidats sortants et gagnants de leurs élections. Au Botswana, Masisi avait rapidement déclaré « je veux féliciter l’opposition pour sa victoire », reconnaissant ainsi sa défaite à la suite de sa campagne électorale. Il a aussi ajouté : « nous sommes tout à fait heureux de nous retirer pour devenir une opposition loyale ». Le président sortant Mokgweetsi Masisi avait rapidement fait savoir la manière dont il souhaitait que le processus se déroule : « je me retirerai respectueusement et participerai à un processus de transition en douceur avant l’investiture. Je suis fier de nos processus démocratiques et je respecte la volonté du peuple ». Il a aussi demandé à ses électeurs de « rester calme et à se rallier au nouveau gouvernement ». Il s’est aussi rapidement entretenu par téléphone avec Boko en lui affirmant : « vous pouvez compter sur moi pour être toujours là et vous donner les conseils que vous souhaitez ». D’ailleurs le nouveau président Boko s’est félicité que la transition démocratique fut « réussie, pacifique et ordonnée ». Duma Boko a aussi ajouté dans le journal indépendant Mmegi, « son humilité » face aux résultats, et sa reconnaissance envers le nombre important de votants aux élections. Il a aussi souligné que ce nombre important d’électeurs « porte notre démocratie à un niveau supérieur ». Cela représente, d’après les déclarations du nouveau Président, une nouvelle ère propice à un développement économique et social pour le Botswana.
À Maurice, avant même les résultats finaux, Jugnauth avait déjà reconnu sa défaite en déclarant simplement « nous allons vers une défaite » et en rajoutant que son Alliance aux législatives « va vers une grande défaite pour l’ensemble ». Lorsque Navin Ramgoolam, le chef de l’Alliance pour le changement a affirmé avoir remporté les élections démocratiques, dans les 24 heures, le Premier ministre sortant a déposé sa démission au président de la République de Maurice (autorité symbolique de ce système parlementaire). Il a conclu que « la population a choisi une autre équipe. Je lui souhaite bonne chance ». Quant au nouveau Premier ministre Ramgoolam, il simplement estimé que « le tribunal du peuple a rendu son verdict et (qu’) une nouvelle Maurice se réveille ».
La transition de pouvoir s’est faite à l’issue d’élections libres, transparentes et pacifiques à Maurice comme au Botswana. Ces deux pays viennent non seulement de confirmer leur tradition démocratique, mais aussi de montrer qu’en Afrique comme ailleurs, il n’y a aucune fatalité autoritaire.
Références
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https://www.bbc.com/news/articles/c238n5zr51yo.
Les auteur(e)s:
Aude Husser, étudiante au Baccalauréat , Département de science politique, UdeM
Mamoudou Gazibo, professeur titulaire, Département de science politique, UdeM
Ce contenu a été mis à jour le 17 novembre 2024 à 20h52.
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