Coopération et concurrence entre les BRICS : un aperçu à travers les relations entre l’Afrique du Sud et la Chine

Moda Dieng, Octobre 2014

Coopération et concurrence entre les BRICS : un aperçu à travers les relations entre l’Afrique du Sud et la Chine

MODA DIENG, PROFESSEUR, DÉPARTEMENT DE SCIENCE POLITIQUE, UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL

Le BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) a considérablement marqué la scène internationale ces dernières années. Son émergence a sans doute renforcé la concurrence entre les puissances, toutes catégories confondues. L’Afrique se manifeste comme un lieu d’expression de ce type d’interaction. Depuis quelques temps, la Chine s’est illustrée comme l’État en développement qui a le plus grand impact sur ce continent. L’Afrique du Sud, la première puissance – au sens classique du terme – du continent, demeure le pays africain qui a les liens économiques les plus importants avec le reste de cette région. Son ancrage africain lui confère-t-il une longueur d’avance sur la Chine ? Ce qui est sûr, c’est que les autres puissances émergentes ont bien profité de son intégration au BRICS pour se positionner un peu plus en Afrique.

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UNE INTERACTION FAVORABLE À LA CHINE ?

De prime abord, on constate que l’Afrique du Sud et la Chine, bien que membres d’une même entité (BRICS), ne se réalisent pas avec les mêmes moyens. La Chine est la plus grande puissance du groupe et l’Afrique du Sud la plus faible. La Chine, l’État le plus peuplé et la plus grande puissance en développement dans le monde, est aussi une puissance nucléaire, membre permanent au Conseil de sécurité des Nations Unies et la deuxième force économique mondiale. Sa présence économique se fait sentir sur tous les continents. Entre 2006 et 2013, la Chine a investi 500 milliards de dollars à travers le monde, les trois-quarts étant réalisés dans les pays en développement.

Une bonne partie des ressources de puissance de l’Afrique du Sud provient du reste de l’Afrique. La valeur de ses investissements est passée de 655 millions de dollars en 1994 à 19,9 milliards de dollars en 2009. Entre 2007 et 2012, plus de 1 000 projets d’investissements ont été mis en œuvre par les acteurs économiques et financiers sud-africains dans 36 pays africains. Dès lors, l’on comprend pourquoi l’Afrique du Sud lie sa destinée à celle de l’Afrique. Mais cette liaison est soumise à rude épreuve par les exportations et investissements chinois. En 2013, plus de 2 000 entreprises chinoises étaient présentes dans plus de 50 pays et régions du continent. Les flux migratoires constituent un autre indicateur de la présence chinoise en Afrique. Aujourd’hui, la Chine est le pays en développement qui a le plus de ressortissants dans cette région. L’Afrique du Sud en accueille le plus grand nombre, environ 300 000. Précisons toutefois que l’immigration chinoise dans ce pays n’est pas quelque chose de nouveau; elle remonte à la fin du XVIIe siècle.

La Chine demeure, parmi les puissances émergentes, celle qui concurrence le plus l’Afrique du Sud, dont les entreprises doivent composer avec de fortes pressions. Pendant que la valeur des exportations chinoises en Afrique croît de 4,1 milliards de dollars en 2001 à 53,3 milliards de dollars en 2011 ; l’Afrique du Sud, elle, voit sa part se réduire dans ses dix plus grands marchés subsahariens. Sans la concurrence chinoise, son commerce avec ces pays aurait augmenté de 10 %, les reculs plus spectaculaires étant constatés en Angola et en Tanzanie. La tendance se poursuit, puisque les exportations chinoises se renforcent, attirées par l’augmentation du marché africain de la consommation. La Chine n’est pas le seul pays du BRICS en compétition avec l’Afrique du Sud. Les compagnies sud-africaines doivent davantage faire face à la concurrence indienne, notamment dans le secteur des services. L’Afrique du Sud n’est pas le seul pays préoccupé par la projection économique chinoise. Il y a aussi les puissances occidentales, dont les entreprises ont longtemps dominé l’économie de beaucoup de pays africains.

L’INDUSTRIE ET LE SECTEUR DE L’EMPLOI SUD-AFRICAINS À L’ÉPREUVE DES EXPORTATIONS CHINOISES

Depuis le rétablissement des relations diplomatiques entre l’Afrique du Sud et la Chine (1er janvier 1998), le volume du commerce entre ces pays connaît une croissance rapide, de 800 millions de dollars en 1998 à 45 milliards de dollars en 2011. D’ailleurs, la Chine est devenue, depuis 2009, le premier partenaire commercial de l’Afrique du Sud. Pour mettre à profit leurs échanges économiques, Beijing et Pretoria ont établi, en 2010, un partenariat stratégique, suivi d’un protocole d’accord signé le 3 décembre 2013.

Mais ce partenariat ne se fait pas sans conséquence. L’Afrique du Sud ayant le secteur industriel le plus développé d’Afrique, les exportations chinoises ne peuvent avoir les mêmes répercussions qu’ailleurs, où les produits made in China ne sont souvent en concurrence qu’avec d’autres produits importés. La part de la Chine dans les importations sud-africaines de produits manufacturés est passée de 2 % en 1995 à plus de 18 % en 2010. Le textile et les vêtements représentent respectivement 60 % et 89 %, sans compter la fraude, un tiers des vêtements et chaussures vendus en Afrique du Sud étant importé illégalement de Chine.

Par conséquent, l’Afrique du Sud traverse une période difficile due à cette augmentation. En 2010, la South African Clothing and Textile Workers Union a enregistré 10 143 postes supprimés. Ce que Pretoria peine à admettre d’autant plus que les produits qui obturent le développement de son industrie sont confectionnés en Chine avec le coton provenant du continent. Pour rassurer les syndicats sans entrer dans un bras de fer avec Beijing, le gouvernement sud-africain a dû engager des négociations pour que la Chine réduise ses exportations. Ce qui le place dans une posture difficile, puisqu’il doit promouvoir la croissance économique à travers l’ouverture du marché sud-africain à la Chine, et protéger les secteurs de l’emploi et l’industrie nationale.

QUELQUES ENJEUX STRATÉGIQUES ET DIPLOMATIQUES EN JEU

Les positions des présidents sud-africains au sujet de la présence chinoise en Afrique sont contrastées. L’importation de produits manufacturés finirait par « condamner l’Afrique du Sud au sous-développement », telle a été la remarque de Thabo Mbeki, pourtant à l’origine de la politique libérale favorable à l’entrée des acteurs économiques chinois dans son pays. Depuis qu’il est arrivé au pouvoir en 2009, Jacob Zuma, lui, semble apprécier globalement l’évolution des relations sino-africaines, mais reconnaît que celles-ci sont défavorables aux pays africains fournisseurs de matières premières.

Sur le plan géostratégique, l’Afrique du Sud a souvent été présentée comme passerelle entre l’Afrique et le reste du monde. Du fait de sa forte présence en Afrique australe de sa stabilité institutionnelle, du dynamisme de ses marchés financiers, de la qualité de ses infrastructures, ou encore de sa position stratégique entre l’Amérique du Sud et l’Asie, ce pays s’érige en acteur important pour des puissances comme la Chine. À noter cependant que les acteurs économiques et financiers chinois ont les ressources nécessaires pour accéder à d’autres régions du continent, d’autant plus que d’autres pays comme le Nigeria, le Kenya, ou encore l’Île Maurice se posent aujourd’hui en passerelles.

Au niveau diplomatique, pour accéder au Conseil de sécurité des Nations Unies, tout comme dans sa quête de statut de membre permanent au sein dudit Conseil, l’Afrique du Sud peut compter sur le soutien de la Chine. Dans ses relations avec l’Afrique, la Chine se targue d’avoir contribué à la décolonisation de l’Afrique par le soutien apporté aux mouvements de libération, y compris l’ANC (African National Congress ou Congrès national africain). Ces deux pays se retrouvent, par ailleurs, autour de la contestation de l’ordre international tel qu’il est établi sur des bases occidentales depuis des siècles, de même que sur d’autres sujets concernant l’Afrique (développement, dette, stabilité, néocolonialisme, ingérence, etc.).

En définitive, l’Afrique du Sud est présente de manière prépondérante dans la région d’Afrique australe, donc dans un petit nombre de pays seulement ; tandis que la Chine, elle, s’est installée sur tout le continent quasiment. D’ailleurs, l’Afrique du Sud est fortement concurrencée, et se sent à l’étroit même chez elle. Cette pression entraîne des relations heurtées entre Beijing et Pretoria. Mais ce constat doit être nuancé, l’Afrique du Sud étant, dans le même temps, le premier partenaire commercial de la Chine en Afrique. Cette réalité n’est pas sans influencer la politique étrangère sud-africaine. À plusieurs reprises, l’Afrique du Sud a cherché à « accommoder » la Chine et à défendre son positionnement en Afrique, faisant ainsi transparaître une véritable faiblesse.

Ce contenu a été mis à jour le 3 juin 2023 à 16h09.