Distinguer la violence électorale des autres formes de violence politique

Note n° 11, Julio César Dongmo, Mars 2024

 

Bien qu’elle soit plus récurrente en Afrique, en Asie et au Moyen-Orient, la violence électorale est un phénomène mondial. Elle est une réalité, quoiqu’à des degrés différents, aussi bien des anciennes et grandes démocraties que des nouvelles démocraties (Burchard, 2015, Birch & Muchlinski, 2017 ; Birch, 2020). Selon les chiffres de Deadly Electoral Conflict Dataset, il y a eu entre 1989 et 2017, 4233 événements meurtriers en lien avec les élections exécutives, législatives, locales et référendaires à l’échelle du monde dont 1955 en Afrique, 1644 en Asie, 322 en Amérique, 251 au Moyen-Orient et 61 en Europe (Fjelde & Höglund, 2022).  Ces événements ont entrainé la mort de 24000 personnes et l’État était impliqué dans 35% de ces pertes en vies humaines. Comment caractériser ces violences électorales et qu’est ce qui les différencient des autres types de violence ?

Tout d’abord, il y a un large consensus entre les auteurs sur le fait que la violence électorale est un sous-type de la violence politique (Höglund, 2009 ; Laakso, 2019 ; Birch, Daxecker & Höglund, 2020 ; Birch, 2020 ; Birch & Muchlinski, 2020[1]. Comme les autres sous-types de la violence politique (la violence terroriste et la violence des guerres par exemple), elle peut être physique ou non-physique. La dimension physique renvoie d’une part aux atteintes à l’intégrité corporelle des personnes, et d’autre part, aux atteintes aux biens par incendie ou par destruction. Celle non-physique fait référence aux souffrances vécues en raison des atteintes à l’estime et aux représentations identitaires de soi (Braud, 2004 & 2022). Cette souffrance peut émaner du mépris, de l’indifférence, de la marginalisation politique ou institutionnelle, des menaces, des intimidations, des injures à caractère raciste, xénophobe, sexiste, religieux, etc.

Si la violence électorale a des similitudes avec d’autres variantes de la violence politique, elle se démarque aussi d’elles. Le critère déterminant de démarcation est son lien causal avec l’élection. Elle est intimément liée au processus électoral, ce qui permet de la distinguer des autres types de violence (politique ou sociale) qui peuvent se produire en temps électoral mais sans avoir un lien évident avec l’élection. En d’autres termes, c’est la signification politico-électorale d’un acte violent en temps électoral qui lui confère le caractère de violence électorale.

Un autre critère de démarcation est sa typologie. En effet, en saisissant l’élection comme un processus et en étant attentif au moment du processus électoral pendant lequel survient la violence, l’on distingue les violences préélectorales, des violences survenues le jour du vote et des violences postélectorales. À l’observation, un ‘‘consensus’’ semble émerger entre les auteurs quantitativistes sur le découpage de ces phases pré, pendant et post-élection. En effet, les chercheurs tels que Sarah Birch et David Muchlinski (2020), Ursula Daxecker, Elio Amicarelli et Alexander Jung (2019) suggèrent un codage sur 6 mois de la violence préélectorale et sur 3 mois de celle postélectorale. Bien que ce découpage soit nécessaire dans une démarche quantitative et statistique, nous ne le partageons pas ; car, les violences liées à un processus électoral peuvent survenir au-delà de ces échéances. Les dynamiques violentes inhérentes à l’élection présidentielle ivoirienne de 2010 sont assez illustratives. Les violences préélectorales relatives entre autres à la constitution du fichier électoral ont été perpétrées entre juillet 2006 et février 2010, soit environ quatre ans. Aussi, la proclamation des résultats querellés du second tour a été suivie d’environ cinq mois de violences postélectorales (décembre 2010-Avril 2011). Fort de ce constat, nous suggérons de faire abstraction du découpage arbitraire susmentionné et de saisir les violences pré et postélectorales, comme toutes les formes de violence physique et non-physique qui surviennent avant et après une élection, et sont en lien avec son organisation, son déroulement ou sa gestion. Une attention particulière aux motivations et aux discours de légitimation ou rhétoriques de justification de leurs auteurs ou instigateurs aide à établir ces liens.

Bibliographie


Birch, Sarah & David Muchlinski. 2017. “Electoral Violence: Patterns and Trends.” In Electoral Integrity Across Diverse Regimes (100-112), edited by Holly Garnett and Margarita Zavadskaya. New York: Routledge.

Birch, Sarah & David Muchlinski. 2020. ‘‘The Dataset of Countries at risk of Electoral Violence.’’ Terrorism and Political Violence 32(2): 217-236.

Birch, Sarah, Ursula Daxecker & Kristine Höglund. 2020. ‘‘Electoral Violence: An Introduction.” Journal of Peace Research 57(1): 3-14.

Birch, Sarah. 2020. Electoral Violence, Corruption and Political Order. Princeton: Princeton University Press.

Braud, Philippe. 2004. Violences politiques, Paris: Le Seuil.

Braud, Philippe. 2022. Sociologie politique, Paris : LGDJ, XVe édition.

Burchard, Stephanie M. 2015. Electoral Violence in Sub-Saharan Africa: Causes and Consequences, Boulder: Lynne Rienner.

Daxecker Ursula, Elio Amicarelli & Alexander Jung. 2019. ‘‘Electoral contention and Violence (ECAV): A New Dataset.’’ Journal of Peace research 56(5): 714-723.

Fjelde, Hanne & Kristine Höglund. 2022. ‘‘Introducing the Deadly Electoral Conflict Dataset (DECO).’’ Journal of Conflict resolution 66(1): 162-185.

Höglund, Kristine. 2009. ‘‘Electoral Violence in Conflict-ridden Societies: Concepts, Causes and Consequences’’ Terrorism and Political Violence 21(3): 412-427.

Laakso, Liisa. 2019. ‘‘Electoral Violence and Political Competition in Africa.’’ In Nic Cheeseman (Ed.), The Oxford Encyclopedia of African Politics (552-563), Oxford: Oxford University Press.

Note


[1] Sarah Birch et David Muchlinski (2020 : 218) ajoutent qu’elle est en plus un sous-type de fraude électorale. Nous ne partageons pas cette affirmation. Elle induit de toute évidence un étirement conceptuel. Si la violence et la fraude électorales poursuivent dans une certaine mesure un objectif de manipulation électorale, il n’en demeure pas moins qu’elles renvoient du point de vue conceptuel à des réalités différentes. La violence électorale est soit un instrument ou une ressource de la fraude électorale, soit un corolaire logique de celle-ci, soit un produit d’une combinaison des deux logiques.  

L’auteur:

Julio-César Dongmo, candidat au doctorat, Département de science politique, UdeM

Ce contenu a été mis à jour le 26 mars 2024 à 14h12.

Commentaires

Laisser un commentaire