Les principales leçons de l’élection présidentielle du 25 février 2023 au Nigeria

Note n° 6, Julio-César Dongmo et Mamoudou Gazibo, Juin 2023

Nigeria Elections 2023, crédit photo: Commonwealth Secretariat used with permission CC BY-ND 2.0

L’actualité politique au Nigeria était marquée le 25 février 2023 par la tenue des élections générales. En plus du Président de la République, les Nigérians ont élu les membres de la Chambre des représentants et les sénateurs. Dix-huit candidats étaient en lice pour le fauteuil présidentiel. Pour être élu dès le premier tour, il fallait remporter 25 % de suffrages valablement exprimés dans au moins 2/3 des 36 États du pays et être plébiscité dans le territoire de la capitale fédérale Abuja. Dans le cas contraire, un second tour devait opposer le candidat arrivé en tête et celui qui a obtenu la majorité relative dans le plus grand nombre d’États. À l’issue du vote, le candidat qui a obtenu la majorité relative au niveau national et plus de 25 % des voix dans au moins 24 États, devait être sacré vainqueur.

Sur les 93 469 008 personnes inscrites dans les listes électorales, 24 965 258 ont voté le jour dit, ce qui équivaut à un taux de participation électorale d’environ 26,71%. Avec 36,6 % de voix valablement exprimées, Bola Ahmed Tinubu, candidat du parti au pouvoir, le Congrès des progressistes (APC), a été élu dès le premier. Il était suivi d’Atiku Abubakar (29,07%), candidat du Parti démocratique populaire (PDP), de Peter Obi (25,4%), candidat du parti travailliste (LP), et de Rabiu Kwankwaso (6,2%), candidat du Nouveau parti populaire du Nigeria (NNPP). Les quatorze autres candidats ont obtenu moins de 3% de votes. 

Notre objectif ici est de tirer les principaux enseignements dudit scrutin. Une attention particulière au contexte institutionnel dans lequel il s’est déroulé et aux acteurs qui étaient en compétition nous a permis d’en identifier cinq à savoir la non-candidature du président sortant Muhammadu Buhari, la compétitivité induite par la popularité du candidat Obi, le fort taux d’abstention, la succession présidentielle intra-parti facilitée par les divisions de l’opposition et la persistance de la violence électorale. 

1.     Une élection sans le président sortant

Après deux mandats à la tête de l’État (2015-2019 et 2019-2023) et conformément aux dispositions de la constitution de 1999, le Président Muhammadu Buhari s’est abstenu de briguer sa réélection. En respectant la constitution, il a refusé de céder au ‘‘virus’’ du troisième mandat et de l’illimitation du nombre de mandats présidentiels qui a gouverné et gouverne encore certains dirigeants africains[1]. Il a décidé comme son prédécesseur Olusegun Obasanjo en 2007, de ne pas sacrifier la loi fondamentale sur l’autel de ses ambitions personnelles et de celles de ses soutiens. Il a décidé de ne pas succomber à cette « maladie du pouvoir » qui affecte de façon endémique surtout les dirigeants des pays francophones. 

2.     Une élection compétitive marquée par la popularité du candidat Peter Obi.

Même si le candidat Peter obi n’a pas gagné l’élection, il a bousculé les candidats des deux partis traditionnels, Bola Tinubu et Atiku Abubakar. Il a même réussi l’exploit d’être plébiscité dans la capitale politique Abuja et surtout de surclasser le candidat du parti au pouvoir Bola Ahmed Tinubu à Lagos, son bastion électoral. À l’observation, cette popularité est le signe d’un certain rejet populaire des deux principaux partis. En effet, les jeunes étaient les principaux soutiens de M. Obi et reprochaient aux deux richissimes et septuagénaires candidats du parti au pouvoir (APC) et du principal parti de l’opposition (PDP) d’appartenir à une classe politique corrompue. À leurs yeux, le candidat Obi était une sorte de « troisième voie ». Son résultat soulève cependant une question légitime : celle de savoir si le soutien de jeunes s’est véritablement transformé en votes dans les urnes. Comme ailleurs, n’ont-ils pas priorisé les nouvelles formes de participation politique, la mobilisation sur les réseaux sociaux par exemple, au détriment du vote? Le moins que l’on puisse dire est qu’il y a un décalage entre ce soutien supposé de la jeunesse, la proportion de celle-ci dans le corps électoral et le résultat qu’il a obtenu. Quarante pourcents des inscrits sur les listes électorales ont moins de 35 ans, soit environ 37 387 600 potentiels jeunes électeurs. On s’attendrait donc logiquement à ce qu’il obtienne un résultat électoral plus conséquent que celui qu’il a obtenu (6 101 533 votants), s’il était vraiment le « candidat de la jeunesse ». En lieu et place, force est de constater que son résultat électoral représente le 1/6ème du potentiel de vote des jeunes. Bien plus, le nombre total de votants (24 965 258) est largement inférieur à ce potentiel (37 387 600). La popularité du candidat Obi a enfin lourdement desservi celle de M. Atiku Abubakar. Il était le candidat d’un parti, le PDP, pour lequel M. Obi avait milité de 2014 à 2022. M. Obi était même son colistier lors de la présidentielle de 2019. Il s’était aussi engagé dans les primaires du PDP pour la présidentielle de 2023 avant de désister[2] à la fin pour rejoindre le Parti travailliste dont il a été le candidat. 

3.     Un fort taux d’abstention

Environ 73% de personnes inscrites sur les listes électorales ne sont pas allées voter. Ce très faible taux de participation électorale n’est pas une exclusivité de la présidentielle du 25 février 2023. Comme le montre en effet le tableau ci-dessous et exception faite de la présidentielle de 2003, l’histoire des élections au Nigeria rime avec la faible mobilisation des inscrits dans les urnes depuis l’avènement de la quatrième République en 1999. 

Élection 1999200320072011201520192023
Taux de participation52695754443527
Taux d’abstention48314346566573
Total100100100100100100100

À l’analyse, il ressort des chiffres précédents que le taux d’abstention enregistré est le plus bas des sept dernières élections présidentielles organisées dans le pays. Il y a un tel niveau d’abstention lorsqu’il existe une réelle fracture entre les populations, les candidats et leurs projets de société. En un mot, cette très faible participation électorale est le corollaire logique d’un profond rejet de la classe politique par ceux qu’ils sont censés représenter. L’effet pervers de cet état des choses est le sacre de présidents mal élus. Le nombre de personnes ayant voté pour le nouveau Président Bola Ahmed Tinubu représente environ 9% du corps électoral (8 794 726 sur 93 469 008). Dit autrement, moins d’un Nigérian sur 10 inscrit sur les listes électorales a voté pour l’actuel président. La proportion est, bien entendu, encore plus insignifiante lorsqu’on compare son résultat à la population globale en mai 2023 (8 794 726 sur 220 986 086). 

4.     Un remplacement du président par son dauphin facilité par la division de l’opposition

Il n’y a pas eu une alternance entre partis mais une succession politique à la tête de l’État entre deux présidents du même parti. Le candidat vainqueur a, en effet, été investi par le parti de l’ancien président Buhari. Il a donc probablement bénéficié de l’avantage politique et administratif y afférent. À titre illustratif, même s’il a refusé pendant la campagne d’endosser le bilan du président sortant dans la perspective de se démarquer et de se protéger des critiques acerbes contre son bilan[3], ce dernier n’a pas cessé de travailler à créer les conditions propices pour le plébiscite de son parti. Face aux dissensions internes nées de la primaire dans le parti par exemple, il a appelé à la préservation de sa stabilité et de son unité.  

La succession entre un président et son dauphin qui s’est produite n’est pas une exclusivité de la dernière présidentielle. Le pays a connu cinq présidents depuis la fin du règne des militaires en 1999, et l’alternance entre partis ne s’est produite qu’une seule fois. C’était en 2015 lorsque Muhammadu Buhari, candidat du Parti des progressistes (APC), a battu le président sortant Goodluck Jonathan investi par le Parti démocratique populaire (PDP). Avant cet événement, les trois autres présidents qui s’étaient succédés, Olusegun Obasanjo (1999-2007), Umaru Yar’Adua (2007-2011) et Goodluck Jonathan (2011-2015), étaient tous du même parti, le PDP. 

Une attention sur le profil des candidats et de leurs soutiens révèle aussi que la victoire de Bola Tinubu ou le maintien au pouvoir du Parti des progressistes, a été facilitée par la désunion ou l’éclatement du PDP, principal parti de l’opposition. Ce parti a échoué là où son rival, l’APC, a réussi à resserrer ses rangs pour l’élection malgré les divisions internes liées notamment au non-respect de la règle tacite de « zonage« ; règle selon laquelle si le candidat est du Nord et musulman, son colistier doit être du Sud et chrétien, et vice-versa. Fustigeant eux aussi le non-respect du zonage dans le cadre de la primaire du PDP, Peter Obi et Rabiu Kwankwaso ont claqué la porte du parti juste avant les élections. Bien plus, certains ténors du parti ont retourné leur veste en faveur du candidat du parti au pouvoir. Le cas le plus emblématique est celui du gouverneur de l’État de Rivers, Nyesom Wike. Il a « mouillé le maillot » non pas pour le candidat de son parti, Atiku Abubakar, mais pour le candidat du parti au pouvoir Bola Tinubu. 

Dans la pratique, cette désunion se produit lorsque les intérêts sont opposés voire contradictoires. Dans certains cas, elle découle aussi d’une dynamique de noyautage par le pouvoir en place; et la stratégie consiste à infiltrer l’opposition pour faire obstruction à toute initiative de mutualisation de ses efforts. Un petit exercice de calcul permet de se rendre compte, toute chose étant égale par ailleurs, que les trois candidats apparentés au principal parti de l’opposition (PDP) totalisent environ 58% du total de suffrages valablement exprimés, soit 14 582 740 votes sur les 24 965 218[4]. Profitant de l’impopularité observée de Muhammadu Buhari à la fin de son mandat, un candidat consensuel du PDP aurait donc pu ravi la vedette au parti au pouvoir.

5.     La persistance de la violence électorale

Comme avant, le contexte électoral a été un moment à la fois d’affirmation de la démocratie et de mobilisation de la violence comme ressource politique. Il a été un moment d’affirmation de la démocratie pour les raisons déjà évoquées : le respect de la limitation constitutionnelle du nombre de mandats par le président sortant, la forte concurrence interpartisane induite entre autres par la popularité du Candidat Obi et la succession présidentielle à la tête de l’État. Mais, comme lors de bien d’autres scrutins avant, les élections générales du 25 février 2023 ont été émaillées de violences. Comme avant, ces violences ne surviennent pas ex-nihilo. Elles font partie d’un répertoire d’action, celui des ressources mobilisées par les acteurs politiques pour et dans leur dynamique d’affrontement. Comme l’illustrent les chiffres ci-après compilés par le journaliste d’investigation et « Fact-checker » Kunle Adebajo[5] à partir des rapports électoraux des observateurs et défenseurs des droits de l’Homme, ces violences sont très souvent meurtrières. 

Électionprésidentielle199319992003200720112019Total
Nombre de morts recensés100801003008001501630
Kunle Adebajo/HumAngle. Source: HWR, ICG, CD, Africa Watch.

Les élections générales de 2023 n’ont donc pas dérogé à la règle. Si l’on s’en remet au rapport final de l’ONG Kimpact Development Initiative[6], 238 actes de violences ont été commis, ont affecté 900 personnes et entrainé la mort de 24 autres. « Les candidats, les responsables électoraux et les politiciens ont été violemment pris pour cible à l’approche des élections. Les milices de partis, les gangs criminels et d’autres groupes armés se sont livrés à la violence pour réprimer les opposants, dissuader les candidats rivaux de se présenter et influencer le processus électoral »[7].  

Il en ressort, à l’analyse, trois observations. La première est la routinisation de la participation politique violente depuis l’avènement du multipartisme dans le pays. Le rejet de celle-ci implique de toute évidence une mise sur pied de programmes de modification ou de transformation des attitudes et comportements des acteurs sociopolitiques. La seconde observation est le faible niveau de violence en termes de perte en vies humaines, du moins, par rapport aux élections précédentes. Cela est peut-être dû à la signature par les principaux candidats le 22 février 2023 à l’initiative du Comité national pour la paix, d’un pacte les engageant à ne pas inciter à la violence. Enfin, l’observation des données de la plateforme ‘‘Election Nigeria Violence Tracker’’ conçue par ACLED (Armed Conflict Location & Event Data Project) en partenariat avec le Centre for Democracy and Development[8], montre que les violences préélectorales ont été plus récurrentes que celles postélectorales. Cette tendance souscrit à celle plus globale des violences électorales en Afrique[9]

Conclusion

La démocratie nigériane est encore en construction. Si, par exemple, elle a généré cinq Présidents de la République en 24 ans, il n’en demeure pas moins vrai qu’elle est encore gouvernée par les logiques et pratiques qui s’accommodent mal avec le sens premier de la démocratie. Les faits illustratifs sont la persistance de la violence électorale et la contestation systématique des résultats électoraux sur fond de dénonciation de fraudes électorales. Comme lors de toutes les élections présidentielles organisées dans le pays depuis le retour du multipartisme, les résultats de la présidentielle du 25 février 2023 ont été remis en cause par les perdants. Les partis des candidats Peter Obi et Atiku Abubakar ont fustigé les « fraudes massives » du vainqueur et la « manipulation des chiffres » par la Commission électorale. Cette dernière a jugé leurs accusations « infondées et irresponsables » et les a invités à saisir le juge des élections s’ils détiennent les preuves de leurs allégations. Tout ceci illustre que la construction démocratique au Nigeria est un processus encore en cours. 

Notes de fin


[1] Le cas le plus récent est celui du Président centrafricain Faustin Archange Touadera. Il a annoncé pour le 30 juillet 2023, un référendum sur une nouvelle constitution qui pourrait lui permettre de briguer un troisième mandat. Les opposants sénégalais soupçonnent aussi le Président Macky Sall de succomber, comme son prédécesseur Abdoulaye Wade en 2012, à la même tentation.  Il y a eu avant eux la Côte d’Ivoire avec Alassane Ouattara (2020), la Guinée-Conakry avec Lassana Conté (2003) puis Alpha Condé (2020), le Gabon avec Omar Bongo (2003) puis son fils Ali Bongo (2018), le Burundi avec Pierre Nkurunziza (2015), le Congo-Brazzaville avec Denis Sassou Nguesso  (2015), le Rwanda avec Paul Kagamé (2015), le Burkina Faso avec Blaise Compaoré (2014), le Djibouti avec Ismaïl Omah Guelleh (2010), le Niger avec Mamadou Tandja (2009), l’Algérie avec Abdelaziz Bouteflika (2008), le Cameroun avec Paul Biya (2008), l’Ouganda avec Yoweri Museveni (2005),le Tchad avec Idriss Deby (2005), le Togo avec Gnassingbé Eyadema (2002), la Tunisie avec Ben Ali (2002) et la Zambie avec Fréderick Chiluba (2001). Douze pays n’avaient même pas en 2017 de dispositions constitutionnelles limitant le nombre de mandats présidentiels : l’Érythrée, l’Éthiopie, la Gambie, la Guinée-Équatoriale, le Lesotho, la Libye, le Maroc, l’Ile Maurice, le Somalie, le Soudan du Sud, le Swaziland et la République arabe sahraouie démocratique (Cf. Issaka k. Souaré .2017. ‘‘Pourquoi la limitation des mandats présidentiels est utile dans l’Afrique d’aujourd’hui’’, Jeune Afrique).

[2] Lors de cette démission, il a fustigé outre la corruption généralisée dans le parti, les dynamiques d’obstruction en interne de sa candidature.

[3] Il était entre autres reproché à l’ancien président, son laxisme dans la lutte contre la pauvreté, l’inflation et l’insécurité relatives à la criminalité et aux attaques terroristes de Boko Haram. 

[4] Atiku Abubakar a obtenu 6 984 520 voix; Peter Obi 6 101 533 voix et Rabiu Kwankwaso, 1 496 687 voix. 

[5] Adebajo, Kunle. 2022. ‘‘Nigeria’s Deadly History of Electoral Violence in Five Charts’’, HumAngle report. 

[6] Cf. https://www.kdi.org.ng/wp-content/uploads/2023/05/The-%E2%80%8BQuest-For-a-Peaceful-Election.Final-Copy.pdf

[7] Carboni, Andréa and Ladd Serwat. 2023. ‘‘Political Violence and 2023 Nigerian Election’’, Election Watch ACLED (Armed Conflict Location & Event Data Project) report. 

[8] Cf. https://acleddata.com/nigeria-election-violence-tracker/#summaries

[9] Birch, Sarah, and David Muchlinski. 2017. “Electoral Violence: Patterns and Trends.” In Electoral Integrity Across Diverse Regimes (100-112), edited by Holly Garnett and Margarita Zavadskaya. New York: Routledge; Straus, S. & Taylor, C. 2012 ‘‘Democratization and Electoral violence in SubSaharan Africa, 1990–2007’’, in A. D. Bekoe (ed.), Voting in Fear: Electoral Violence in Sub-Saharan Africa (15-38), United States Institute of Peace, Washington, DC.

Les auteurs:

Julio-César Dongmo, candidat au doctorat, Département de science politique

Mamoudou Gazibo, professeur titulaire, Département de science politique

Ce contenu a été mis à jour le 10 juillet 2023 à 10h16.

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